INTERVIEW – Certains des 12 millions de logements en copropriété sont pris de court par l’explosion des charges de chauffage collectif cet hiver. Emile Hagège, directeur général de l’ARC, accuse les fournisseurs de profiter de la flambée des prix pour augmenter leurs marges. Au détriment des locataires, contraints d’avancer les frais auprès des syndics malgré le bouclier tarifaire.
L’hiver approche et certains des 12 millions de logements en copropriétés -dont cinq millions de logements sociaux- sont déjà étranglés financièrement. Car dans les logements soumis au chauffage collectif, le prix des charges flambe pour couvrir l’explosion des coûts de l’énergie. Selon un décret daté du 9 avril 2022, les copropriétés chauffées au gaz collectif bénéficient du bouclier tarifaire jusqu’au 30 juin 2022, avant effet rétroactif. Ce mardi 8 novembre, un nouveau décret doit étendre le dispositif d’aides jusqu’au 31 décembre 2022, et en préciser les modalités d’application.
Problème: le bouclier tarifaire n’est activé qu’après les avances de charges payées par les locataires et propriétaires et reste insuffisant au vu de l’explosion des prix du gaz. Dans le même temps, certains fournisseurs profitent de l’inflation pour augmenter leurs marges. L’Association des responsables de copropriétés (ARC) qui défend plus de 14.000 d’entre elles a engagé une action en justice contre le groupe Gaz Européen pour avoir gonflé abusivement ses tarifs. Emile Hagège, directeur général de l’ARC revient pour Challenges sur ces hausses et les conséquences sur les copropriétés.
Challenges – De quelle manière les copropriétés sont-elles touchées par la hausse des prix du gaz ces derniers mois?
Emile Hagège – Entre 2019 et août 2022, le prix du gaz a été multiplié par quinze, passant de 20 euros à 300 euros le mégawattheure (MWh). Ces dernières semaines toutefois, le prix du gaz a nettement dégonflé sur les marchés financiers (à 100 euros le MWh, ndlr). Une décrue dont les propriétaires et locataires n’ont pas forcément profité en bout de chaîne, parce que chaque fournisseur réagit comme il le souhaite. Il est injuste que les copropriétés soient le dindon de la farce de la situation.
Pourquoi les copropriétés seraient-elles le dindon de la farce?
Nous avons constaté un emballement de la part des fournisseurs de marché, en l’absence de visibilité sur la situation géopolitique. La spéculation s’affole. Il y a toutefois plusieurs cas de figure. Les copropriétaires dont les contrats sont indexés au prix du marché ont vu leurs factures flamber. Ils pourraient profiter de la baisse des prix du marché même si certains opérateurs maintiennent leurs tarifs finaux à un niveau élevé par sécurité. D’autre part, des fournisseurs dont les contrats sont à prix fixe pour une durée déterminée indiquent à leurs clients ne pas pouvoir respecter les termes du contrat et augmentent leurs grilles tarifaires de manière démentielle. Ce n’est pas légal.
Justement, vous venez de lancer une action en justice contre le fournisseur Gaz Européen, filiale de Butagaz. Pourquoi?
Leurs contrats sont à prix fixe, pour une durée de trois ans entre février 2020 et février 2023. Or le groupe a indiqué dans un courrier à ses clients qu’il ne pourra pas respecter les termes du contrat, invoquant la crise et la flambée des prix du gaz sur les marchés. Le gaz ne sera plus payé au prix fixe de 32 euros le MWh mais au prix du marché. Les copropriétaires n’ont d’autre choix que d’accepter les nouvelles conditions tarifaires, au risque de voir leur contrat résilié. C’est du chantage et de l’abus caractérisé. Environ 1.000 dossiers sont concernés. Nous avons mis en demeure le groupe Gaz Européen et nous nous apprêtons à déposer le dossier au greffe du tribunal. Nous devrions recevoir une réponse dans une semaine.
Comment réagissent les syndics de copropriétés concernées?
De plusieurs manières. D’abord, certains refusent de céder au chantage et se battent en s’associant à notre action. Ils ne représentent toutefois qu’une quinzaine de dossiers sur les 1.000. La majorité cède sous la pression de voir leur chauffage coupé. Paniqués, certains doivent parfois renoncer à des travaux énergétiques pour payer les factures. Céder au chantage signifie repartir pour trois années au prix fort, c’est n’est ni anodin, ni ponctuel. Ces copropriétés sont otages et victimes de la hausse des prix du gaz, ne connaissant pas forcément les marges de manœuvre dont elles disposent. Résultat, les syndics demandent aux locataires de payer, leur expliquant qu’il faut être solidaire de la guerre en Ukraine. Les copropriétés sont piégées comme des rats.
D’autant que les locataires et propriétaires ne bénéficient pas immédiatement du bouclier fiscal mis en place par le gouvernement…
S’ajoutent en effet les difficultés pour les copropriétés à accéder aux aides de l’État. D’abord, le bouclier fiscal ne suffit pas à couvrir l’intégralité de la hausse des prix du gaz. Ensuite, les aides arrivent trop tard. Le bouclier tarifaire des copropriétés oblige en effet les syndics à avancer le surcoût de la flambée des prix de l’énergie au travers des charges payées de leur poche par les locataires et les propriétaires. Ces charges peuvent atteindre plusieurs centaines d’euros par mois et par logement. Et pour récupérer ces sommes avancées, le processus est extrêmement compliqué.
Comment fonctionne le bouclier tarifaire pour les copropriétés?
Schématiquement, le syndic envoie une attestation sur l’honneur au fournisseur de gaz, confirmant qu’il est éligible à l’aide. Ce dernier envoie alors une demande à l’organisme payeur. Il faut ensuite attendre que l’État rembourse aux fournisseurs la différence. Les fournisseurs de gaz envoient à leur tour un chèque aux syndics, qui remboursent les copropriétés sous forme d’avoir sur les prochaines factures.
Pour vous, le dispositif d’aides a été détourné et ne revient pas toujours aux locataires et copropriétaires.
Rien ne dit que tout le monde respecte les règles et ne profite pas de la cacophonie ambiante. Un certain nombre de syndics n’ont, selon moi, pas envoyé l’attestation sur l’honneur au fournisseur pour recevoir l’aide de l’Etat, par oubli, ou intentionnellement. Nous allons investiguer dans les prochains mois pour savoir quels sont les montants qui atterrissent réellement dans la poche des copropriétaires. Il faudra également s’assurer que le montant versé par les syndics aux copropriétés est bien conforme à celui versé par les fournisseurs. Cela risque d’être le scandale du siècle.
Quid des chauffages à l’électricité, qui représentent 2% du parc et qui sont, pour l’instant, exclus du bouclier fiscal?
Le décret qui doit être publié aujourd’hui (ce mardi 8 novembre, ndlr) doit alléger la facture des copropriétés chauffées à l’électricité. Mais la problématique reste la même: les locataires et propriétaires devront avancer les frais avant d’être remboursés, plusieurs mois plus tard. Et comme pour le chauffage au gaz, le bouclier tarifaire ne suffira pas à compenser la très lourde augmentation des prix de l’électricité, plus forte encore que celle du gaz.
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