Salaire, respect, conditions de travail… Pourquoi le métier de prof n’attire plus ?
À quelques jours de la rentrée, on ne sait pas si la promesse de Pap Ndiaye, “une classe, un prof” pourra être tenue.
Mais qu’est-ce qui fait qu’il n’y a pas assez d’enseignants ?
Ils forment et éduquent les grands noms de demain et s’efforcent de fournir un enseignement de qualité à tout un chacun.
Ce sont les professeurs des écoles, collèges, lycées, et de l’enseignement supérieur.
Et ce mardi 23 août 2022, nombre d’entre eux stressent à cause de la rentrée, le 1er septembre.
Une des raisons qui font qu’ils n’ont pas hâte de retrouver les élèves, c’est la perspective de ne pas être en capacité de fournir un enseignement qualitatif, comme ils le voudraient.
Et ça, c’est à cause des effectifs d’enseignants, qui chaque année, diminuent un petit peu.
Toutes catégories confondues, plus de 3 700 postes n’ont pas été pourvus à l’occasion des concours enseignants organisés en 2022, sur un total de 23 571 ouverts par l’Éducation nationale dans le public, peut-on lire dans un communiqué de presse à ce sujet, en date du 7 juillet 2022.
Mais pourquoi est-ce que le métier d’enseignant n’attire plus ? Éléments de réponse.
Un travail pas forcément reconnu à sa valeur
« Le Rouge et le Noir, de Stendhal, je ne le lis pas pour le plaisir, c’est du travail », s’exclame Jean-Rémi Girard, professeur de lettres dans un lycée de banlieue parisienne, et président du Syndicat national des collèges, lycées, écoles, et enseignement supérieur (Snalc).
Pourtant, de nombreuses personnes pensent encore qu’être professeur, c’est un travail de 8 h à 17 h, 4,5 jours par semaine, avec toutes les vacances.
« Dans les faits, on est plus sur une fourchette de 40/45 heures par semaine, en comptant les corrections de copies et la préparation des cours notamment », explique Jean-Rémi Girard.
« Et pendant les petites vacances, c’est la même chose, on a toujours des copies à corriger, et des manières de rendre son cours plus intéressant à trouver », précise-t-il.
« Il ne faut pas confondre les congés des élèves et les congés des professeurs », insiste Elise Caperon, secrétaire nationale au syndicat SE-UNSA, en charge des formations, conseillère principale d’éducation dans un collège normand en parallèle.
Communiquer et obtenir du respect de la part de la hiérarchie
Et cela, l’Éducation nationale le sait.
Mais ne l’applique pas forcément.
C’est aussi cela que demandent les syndicats, en somme.
Du respect, et de l’écoute.
Il y a un fort besoin d’être compris. Que les personnes qui décident tiennent compte des remontées.
Car ce sont les enseignants qui, derrière, doivent expliquer aux élèves et aux parents pourquoi cette réforme qui a été mise en place l’an dernier change déjà.
Elise Caperon
Secrétaire nationale au syndicat SE-UNSA, en charge des formations
Aucun professeur n’a oublié cet épisode récent pendant lequel Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, avait annoncé le protocole sanitaire à venir dans les collèges et lycées… dans les colonnes du journal Le Parisien, alors même qu’eux n’avaient pas été mis au courant.
« J’ai dû payer pour lire un article m’expliquant comment j’allais travailler, car la hiérarchie n’a pas communiqué », pouvait-on lire sur les réseaux sociaux.
« Vraiment, on est mal payés »
Si elle n’est pas la seule préoccupation des enseignants, la question du salaire revient forcément beaucoup, surtout en ces temps où le pouvoir d’achat est sur toutes les lèvres.
Sans aucune volonté de comparer les métiers, le président du Snalc considère qu’un professeur travaille déjà de manière assez conséquente.
« Et pourtant, quand on parle de revalorisation des salaires, l’exécutif nous fait bien comprendre que ce sera assujetti à des heures supplémentaires par exemple.
En gros, c’est le retour du ‘travailler plus pour gagner plus’ », regrette Jean-Rémi Girard.
Car ce n’est plus un secret pour personne : les salaires des enseignants en France sont aujourd’hui relativement bas comparés à nos voisins européens.
Quand on regarde les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), on peut voir qu’après 15 ans de carrière, en 2020, un professeur français gagnait, en moyenne, 3 254 dollars bruts.
En comparaison, un professeur allemand dans les mêmes conditions est rendu à 6 700 dollars bruts.
Certes, la vie n’est pas la même entre les deux pays, mais il y a tout de même plus de 3 000 dollars d’écart.
La réponse de l’Éducation Nationale
Du côté de l’Éducation nationale, pour justifier la baisse de l’attractivité du métier d’enseignant, on évoque la réforme des concours. Désormais, les étudiants en master 1 n’ont plus la possibilité de s’y inscrire, et doivent attendre le master 2.
Pour Elisabeth Allain-Moreno, secrétaire nationale au syndicat SE-UNSA, en charge des carrières et de qualité de vie au travail, “cette réforme a effectivement fait fondre les effectifs, mais elle n’est pas du tout la seule responsable”.
« Ça fait 20 ans que les salaires n’évoluent pas ou très peu. Et dans le même temps, l’inflation grimpe en France », note Jean-Rémi Girard.
Selon lui, « les enseignants sont payés entre 900 et 1000 euros de moins que les autres fonctionnaires de catégorie A et du même niveau d’études, à savoir, Bac + 5 ».
Le ministre, Pap Ndiaye a bien promis 2 000 euros de salaire net pour chaque nouvel enseignant, « mais ce n’est pas l’entrée le problème principal.
Si les salaires ne progressent pas derrière, ça ne vaut rien« , remarque Elise Caperon.
Ce qui peut freiner, au niveau des salaires, c’est surtout la très faible possibilité d’augmentation au cours de la carrière.
Elise CaperonSecrétaire nationale au syndicat SE-UNSA, en charge des formations
Mais, comme insiste Elisabeth Allain-Moreno, également secrétaire nationale au syndicat SE-UNSA, mais en charge des carrières et de qualité de vie au travail, et institutrice en parallèle, « le salaire, c’est bien, mais ça ne peut pas être le seul levier à actionner ».
La formation dans la ligne de mire des syndicats
Un de ces leviers, justement, c’est la formation des enseignants : « entre ce qu’on apprend aux futurs profs et ce qu’ils vivent lors de leurs premières années, il y a un gros gap.
Il y a, maîtriser sa discipline, et savoir l’enseigner.
Il faut une alchimie entre les deux », estime Elise Caperon.
D’après elle, les attendus du concours sont surtout de l’ordre des connaissances.
Mais « être prof ne s’arrête pas à connaître les maths sur le bout des doigts par exemple.
Peut-être qu’il faudrait apporter des modifications à ce volet », questionne-t-elle.
Un instituteur sur cinq obtient sa demande de mobilité
Mais il y a aussi un gros problème géographique.
Comme l’explique Elisabeth Allain-Moreno, « seuls 20 % des professeurs des écoles obtiennent satisfaction après avoir fait une demande pour travailler dans un autre établissement.
Et dans le 2nd degré, on passe à 40 %, mais le chiffre est biaisé, car les stagiaires, eux, n’ont pas le choix. »
Elle assure qu’autour d’elle, de nombreuses personnes ont quitté l’Éducation nationale à cause de cela.
Contrairement à ce qu’on peut lire ici et là, le salaire n’est donc pas la seule chose qu’il faudrait améliorer pour attirer plus de nouveaux enseignants.
« Il faut aussi voir le côté conditions de travail, le respect de la hiérarchie, la formation initiale, et comment on est vus : si notre employeur ne met pas en valeur les vertus du système, qui voudrait en faire partie ? », questionne Elisabeth Allain-Moreno.
« Le ministre Pap Ndiaye s’est dit confiant pour la rentrée », nous glisse-t-on du côté du ministère de l’Éducation nationale.
Maintenant, reste à savoir si ses « employés », le corps enseignant, lui redonneront la confiance perdue.
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Crédit photo : Capture d’écran