Lait, pommes de terre, miel… Quels risques de pénuries avec la sécheresse?

 

Les différentes vagues de chaleur et la sécheresse de ces dernières semaines ont mis à mal un grand nombre de cultures. Entre inquiétude montante et productions en péril, les professionnels du secteur ne savent pas à quoi s’attendre pour les récoltes annuelles, même si une tendance se profile. Les rayons des magasins vont-ils se vider de certains produits, comme ce fut le cas pour la moutarde et l’huile de tournesol ces derniers mois ?

Si la situation ne devient pas si dramatique, les baisses de production seront, elles bien réelles. La demande serait alors plus élevée que l’offre disponible, ce qui pourrait faire augmenter les prix. Sans pour autant parler de pénuries pour le moment, les professionnels de l’agroalimentaire s’inquiètent. A terme, la liste des produits touchés pourrait être longue. Pour le moment le lait, le miel et les pommes de terre sortent du lot car des difficultés de rendement sont déjà constatées.

 

Un lait de moins bonne qualité

C’est officiel, les prairies françaises ne sont plus verdoyantes, mais ressemblent plutôt à des «paillassons». Alors qu’il ne voulait pas alarmer sur la situation, et promettait qu’il n’y aurait pas de pénuries, il y a encore quelques semaines, Thierry Roquefeuil a aujourd’hui changé de discours. «Les choses s’emballent un peu plus toutes les semaines, les éleveurs commencent à être paniqués», décrit le président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). Ce qui rend la situation inédite, c’est la localisation de la sécheresse et des vagues de chaleur. Les années précédentes, certains secteurs étaient épargnés comme le Nord, la Normandie ou encore la Bretagne, alors qu’aujourd’hui tout le territoire est concerné.

 

«Le Pas-de-Calais n’est pas un secteur qui subit la sécheresse normalement, nous vivons ce que l’on voyait à la télé dans le sud de la France», constate Jérémie Dumont, agriculteur près de Boulogne-sur-Mer. Sur tout le territoire français, les fourrages destinés aux vaches laitières se font rares. L’herbe est sèche et le maïs «n’a globalement pas fécondé, il n’y a pas de grains alors que ce sont eux qui font sa valeur», explique Thierry Roquefeuil, lui-même exploitant agricole dans le Lot. Jérémie Dumont précise que «normalement, c’est le Pas-de-Calais qui envoie du fourrage aux autres régions, mais là comme toute la France est concernée, c’est difficile d’en trouver».

 

«On a connu des pénuries mais cette année je n’ose pas imaginer…»

Une baisse de production de lait est déjà visible, bien qu’elle soit provoquée par d’autres facteurs. Sous de si fortes chaleurs, «les animaux se mettent à l’ombre, bougent moins et produisent ainsi moins de lait», explique l’agriculteur de Pas-de-Calais. D’après le président de la FNPL, la baisse en question avoisinerait les 20 %, autrement dit 4 à 5 litres de moins par jour et par vache. Et le manque de lait pourrait impacter le consommateur : il va falloir choisir entre vendre le lait dans la grande distribution ou l’utiliser pour fabriquer du beurre, du fromage, et autre produit laitier. Les producteurs de lait veulent à tout prix éviter la pénurie, et demandent donc une revalorisation des prix pour une plus juste rémunération des éleveurs. Sinon, «s’il commence à manquer de lait, il y aura des arbitrages industriels pour ne plus livrer la grande distribution», imagine le président de FNPL.

 

La qualité du lait est également menacée, à cause de l’alimentation donnée aux vaches laitières. Ces fourrages moins riches que d’ordinaire pourraient avoir des répercussions sur les produits laitiers dérivés. «Il y aura moins de matière grasse, moins de matière protéique, donc les transformateurs qui vont recevoir ce lait vont pouvoir produire moins de crème, moins de fromages, il sera moins riche. Déjà l’an dernier, on a connu des pénuries de beurre, mais cette année je n’ose pas imaginer…» s’inquiète-t-i

 

Une production de miel en berne

La production de lait n’est pas un cas isolé, les exploitations apicoles sont également concernées. «C’est une année noire pour l’apiculture», tranche Christian Pons, président de l’Union nationale des apiculteurs français (Unaf) et apiculteur à Cournonsec, près de Montpellier. «La situation actuelle est dramatique. Globalement, le printemps a été correct sur tout le territoire, mais pour le miel d’été, c’est une autre histoire… Tout a grillé.» Les aromatiques dans le sud de la France, les acacias, les bruyères, «tout est sec, très sec…» et les abeilles n’ont rien à butiner. Les zones montagneuses ne sont pas épargnées : «Il n’y aura pas du tout de miel de sapin dans les Vosges et en Alsace, en Provence, la miellée de lavandin sera très faible toujours à cause de la sécheresse, et quasiment partout en France, les fleurs de châtaigniers ont brûlé», détaille Frank Alétru, président du Syndicat national de l’apiculture (SNA). Certaines plantes sont restées vertes, mais «sont en choc hydrique», faute d’apport en eau suffisant : «elles ne fleurissent pas, donc il n’y a pas de pollen pour les abeilles qui ne peuvent donc pas se nourrir», complète Christian Pons.

Les producteurs prévoient une tendance à la baisse depuis plusieurs années. Les pronostics varient, «entre 6 et 8 000 tonnes», selon Christian Pons, et jusqu’13 000 tonnes. Soit «à peine à 45 % d’une récolte moyenne», selon Frank Alétru. Les pronostics sont mauvais et le miel pourrait se faire plus rare dans les rayons. Le secteur apicole sera fixé à l’automne, une fois que la récolte finie.

Des pertes de colonies sont déjà à déplorer, notamment dans le sud de la France, les fortes chaleurs provoquant des fontes de cire. «A partir de 50 degrés, la cire commence à fondre, son point de fusion étant aux alentours de 60 degrés. Elle coule alors dans la ruche, englue les abeilles, et entraîne la mortalité de la colonie.» Un risque qui augmente avec les conditions climatiques actuelles. «Pour l’éviter, il faut mettre les ruches à l’ombre, mais parfois, on n’a pas le temps. C’est aussi un coût supplémentaire», résume Christian Pons.

Certains apiculteurs doivent eux-mêmes nourrir leurs abeilles afin d’assurer leur survie, en leur donnant du miel ou du sirop de sucre. «Il y a un rapport très important entre la nourriture et la ponte de la reine», explique Christian Pons, «le plus inquiétant est donc le non-renouvellement des générations, une abeille ne vivant que cinquante à soixante jours». L’opération a aussi un coût financier conséquent : la fabrication du sirop coûte cher, et l’utilisation des stocks de miel pour la nourriture des abeilles retire ces quantités de la vente. Déjà touchées en 2021 par la pluie et le froid estivaux, «des exploitations apicoles risquent d’être économiquement menacées après les épisodes de sécheresse de cet été, craint Frank Alétru, président du SNA. L’année dernière était déjà une des plus mauvaises années en quarante ans.»

 

Baisse de rendement «inéluctable»

Les producteurs de pommes de terre partagent ces inquiétudes. Utilisée à toutes les sauces, la pomme de terre est un produit alimentaire accessible et rentable. Au-delà du secteur alimentaire, elle est aussi utilisée dans de nombreux domaines, de la cosmétique à la fabrication d’emballages. Geoffroy d’Evry, président de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT), prévoit une «baisse du rendement national» qui serait «inéluctable». D’après la tendance qui se dessine, l’année 2022 sera une des pires depuis 2001, et les premiers prélèvements effectués pour contrôler les productions le confirment. A la question de la quantité des pommes de terre récoltées, s’ajoute celle de leur qualité, sur laquelle les producteurs seront fixés au moment de la récolte, à partir de fin août. Pour le «leader dans la production de pommes de terre» qu’est la France, l’inquiétude commence à monter. «La filière de la pomme de terre représente plus de 3 milliards d’euros au niveau national, l’impact de la sécheresse pourrait être de l’ordre d’un milliard d’euros de chiffre en moins», anticipe le président de l’UNPT.

Le manque d’eau et l’excès de chaleur développent un stress hydrique chez les tubercules, bloquant leur développement. Les productions en sec sont plus touchées que celles par irrigation. «Le stress hydrique on connaît, et finalement, on arrive à peu près à le maîtriser, précise Geoffroy d’Evry. Ce qu’on ne connaissait pas, c’est ce phénomène de fortes chaleurs à répétition.» Par irrigation, le manque d’eau peut être contrôlé, mais face aux fortes chaleurs, il existe peu de recours. «A partir de 30 degrés, et avec les degrés qui s’accumulent tous les jours, la pomme de terre se bloque, elle se met en mode survie et ne progresse plus.»

 

Les producteurs ne pourront «satisfaire l’ensemble de la demande»

«Ce qui est certain, c’est qu’il n’y aura pas suffisamment de pommes de terre pour satisfaire l’ensemble de la demande», avance le président de l’UNPT. La majorité de la demande provient de trois secteurs principaux : l’alimentaire, l’industrie de la chips et de la frite, ainsi que la fécule pour la papeterie ou l’emballage carton. La baisse de production se fait alors sentir dans tous les secteurs, mais plus particulièrement pour les pommes de terre de fécule destinées à la papeterie et l’emballage carton, qui sont produites en sec et donc en manque d’eau considérable. Concernant la pomme de terre destinée à l’industrie, les contrats établis entre producteurs et acheteurs seront difficilement honorés cette année.

Geoffroy d’Evry, lui-même producteur de pommes de terre dans la région de Compiègne (Oise) et spécialisé dans la production en sec destinée à l’industrie des chips et des frites, est directement impacté. Il estime qu’avec un accès à l’eau moins restreint, dans le cadre du plan sécheresse, et un partage plus équitable de la valeur ajoutée avec la grande distribution, qui en capte aujourd’hui plus de la moitié, les difficultés auxquelles les producteurs font face seraient déjà réduites.

Si certains exploitants s’alarment déjà face aux effets de la crise climatique sur leurs productions, ils pourraient être rejoints par d’autres dans les prochaines semaines, comme les betteraviers ou les vignerons, qui craignent pour leurs récoltes prévues dans les prochaines semaines.

 

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crédit photo: capture d’écran

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