L’algorithme qui traque les médicaments dangereux

L’algorithme qui traque les médicaments dangereux

 

Comment exploiter au mieux la base de données de l’assurance-maladie française, la plus importante du genre au monde.

Un enjeu majeur pour la qualité des soins et stratégique pour le pays.

 

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Pour les spécialistes, l’intelligence artificielle (IA) en santé, c’est un peu le pactole de Crésus : le Système national des données de santé (SNDS), créé en 2016, centralise les données médico-administratives de l’assurance-maladie, les factures hospitalières et les certificats de décès.

Soit la plus grande base de données de santé connue au monde ! “Nous pouvons aujourd’hui suivre le détail des “parcours de soins” des 65 millions de Français avec un historique de plus de dix ans”, explique Dominique Polton, présidente de l’Institut national des données de santé (INDS).

En comparaison, l’organisme disposant de la plus grande base de données aux États-Unis regroupe 8 millions de personnes. “Le problème, c’est que les bases du SNDS sont construites pour gérer les remboursements des soins… pas pour faire de la recherche clinique ou épidémiologique”, poursuit Dominique Polton.

Or c’est dans ce domaine que les algorithmes, ces programmes informatiques complexes capables de simuler certains traits de l’intelligence humaine, pourraient rendre les services les plus précieux en matière de santé publique.

 

Réduire le risque de scandale type Mediator

“En théorie, il serait possible d’automatiser un système de pharmacovigilance à partir de ces masses de données, de façon à détecter plus rapidement les médicaments à l’origine d’effets secondaires néfastes”, explique Emmanuel Bacry, directeur de recherche au CNRS à l’université Paris-Dauphine et responsable de l’Initiative Data Science de l’École polytechnique.

Autrement dit, un système d’alerte sanitaire réduisant les risques de scandales du type Mediator en 2010, du nom de cet antidiabétique détourné en coupe-faim, accusé d’avoir fait plusieurs centaines de victimes.

 

C’est précisément dans cette perspective que l’expert et son équipe travaillent depuis 2015 directement sur ces données. Cette année, dans le cadre d’un partenariat de l’École de polytechnique et de la Cnam, son équipe est parvenue à en valider le principe en le testant sur un cas connu : la survenue de cancers de la vessie suite à la prise de pioglitazone, un antidiabétique interdit en 2011.

“Un très beau succès qui a nécessité un travail important de restructuration d’une partie des données pour interroger le SNDS de façon pertinente”, précise-t-il.

En effet, la base stockée à la Caisse nationale de l’assurance-maladie (Cnam) est centrée sur le remboursement des soins, pas sur les individus. “C’est un monstre, souligne Emmanuel Bacry. Il faut s’imaginer un tableur avec 800 tables différentes comportant chacune des millions de lignes avec des pointeurs dans tous les sens.”

La plus importante comportant… 1 milliard de lignes ! Durant deux ans, cinq développeurs à temps plein ont ainsi bâti une infrastructure parallèle permettant “d’aplatir” 30 téraoctets de données sur les 250 que compte le SNDS. “On peut ainsi interroger rapidement tout l’historique selon l’entrée choisie.”

Optimiser le parcours de soins pour 1 million de diabétiques

Une préfiguration de ce que doit être le “hub national des données de santé” annoncé par le président de la République Emmanuel Macron en mars. “Organiser et exploiter au mieux ces données massives en santé est un enjeu stratégique majeur pour la France, confie Dominique Polton, cochargée de mettre sur pied cette nouvelle plate-forme.

Que ce soit pour améliorer la performance du système de santé et la qualité des soins ou pour développer une recherche de pointe.” Outre la modernisation de la plate-forme, il s’agit d’enrichir cette base avec des données cliniques qui en sont absentes aujourd’hui : “dossiers médicaux numériques, résultats d’examens biologiques ou d’imagerie, voire des données recueillies par les objets connectés”, énumère la présidente de l’INDS, qui souhaite lancer la machine dès 2019 avec quelques projets phares.

Ainsi, l’un des objectifs d’une nouvelle collaboration avec la Cnam et l’École polytechnique serait de dépister les médicaments qui augmentent le plus les risques de chute chez les personnes âgées. Une question “qui concerne 12 millions de personnes et quelque 400 médicaments différents : antidépresseurs, traitement contre l’hypertension, etc., précise Emmanuel Bacry, déjà à sa tâche.

Mais cette fois, on passe vraiment à l’échelle réelle, et nous espérons des résultats intéressants.” L’équipe s’appuie sur le travail technique réalisé pour le projet test de l’antidiabétique pioglitazone.

Et deux autres projets seront lancés prochainement : l’application du machine learning (apprentissage automatique) aux données du SNDS pour identifier et optimiser les parcours de soins spécifiques pour plus de 1 million de personnes souffrant de diabète.

“Nous voudrions développer un outil de visualisation interactif pour ces 2,5 millions de parcours afin de comprendre comment ils sont structurés et pouvoir les explorer de façon interactive. Ce serait une avancée majeure car les enjeux, économiques autant que médicaux, sont énormes.” Un troisième projet consistera à identifier des réseaux de trafic de médicaments chez les médecins et pharmaciens…

Une information qui soit la plus partageable possible

Mais pour développer plus encore la recherche clinique sur ces big data, les algorithmes eux-mêmes doivent s’étoffer. En particulier sur les connaissances qu’ils embarquent.

La difficulté étant de créer des passerelles compréhensibles pour la machine  entre des données de nature extrêmement différentes : faire correspondre de l’information textuelle à des images médicales par exemple ; ou entre différents termes proches.

« Ainsi, dans le cadre de la pharmacovigilance, les médecins doivent déclarer aux autorités sanitaires les effets indésirables repérés, rappelle Marie-Christine Jaulent, directrice de recherche Inserm au Laboratoire d’informatique médicale et d’ingénierie des connaissances en e-santé (Limics).

Mais, pour un médicament identique, plusieurs médecins peuvent indiquer le même phénomène sous des terminologies différentes comme maux de tête, migraines ou céphalée. Les algorithmes doivent apprendre à comprendre que c’est la même chose. »

Au Limics, l’objectif est donc de construire des « ontologies », des artefacts informatiques qui regroupent l’ensemble des connaissances sur une entité médicale. « Un codage qui rende l’information de santé la plus partageable possible. C’est très important pour croiser des données hétérogènes.

Car ce que l’on écrit dans des comptes rendus médicaux n’est pas ce qu’on voit dans des images ou ce qu’on lit dans des données génétiques. Et pourtant, toutes ces informations peuvent référer à la même chose car ce sont juste des façons différentes d’observer un même phénomène », détaille Marie-Christine Jaulent.

« Que l’on parvienne à mettre sur pied ce hub des données de santé, avec interopérabilité des données et des systèmes, des accès simples pour les start-up, les grandes entreprises et les laboratoires de recherche, et c’est tout le secteur de l’IA en santé qui voudra travailler en France ! » promet de son côté Emmanuel Bacry.

SOINS INTENSIFS.

 Prévoir la mort six heures avant Pour la première fois, une intelligence artificielle (IA) capable d’anticiper la mort d’un patient en service de soins intensifs a été autorisée aux États-Unis. Développé par la société canadienne Excel Medical, l’algorithme Wave Clinic Platform s’intègre à un système de monitorage afin d’analyser en temps réel des constantes vitales (pouls, fréquence respiratoire…).

Selon les essais cliniques menés à l’université de Pittsburg de Pennsylvanie (États- Unis), il permet d’alerter les équipes soignantes jusqu’à six heures avant la dégradation soudaine de l’état de santé du patient. « La prédiction grâce à l’IA d’événements comme la baisse brutale de la tension artérielle est une approche très prometteuse pour les patients en situation critique », explique le Pr Romain Pirracchio, chef du service de soins intensifs à l’Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris et expert en biostatistique.

Avec le perfectionnement des techniques de surveillance, « nous avons accès à une quantité d’informations standardisées toujours plus importante et en constante évolution. Aujourd’hui, le monitoring fait apparaître une mesure toutes les millisecondes ! Même le meilleur des médecins est incapable d’intégrer cela à son raisonnement clinique. Seul un algorithme pourra le faire. »

Source : https://www.sciencesetavenir.fr

Crédits photos: Capture d’écran

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