Hausse des carburants: pourquoi Mélenchon est pris au piège entre Macron et l’extrême droite

À plusieurs reprises depuis quelques mois, Jean-Luc Mélenchon, à l’accoutumée mieux inspiré, a utilisé la formule passe-partout suivante: ” si Marine Le Pen dit que le ciel est bleu, je ne vais pas dire par principe qu’il est gris “. Une manière- malhabile- de faire savoir que si, à l’occasion, le chef de la France Insoumise et la présidente du Rassemblement National partageaient le même point de vue sur tel ou tel sujet, eh bien ce ne serait pas un drame… Mais le député de Marseille ne s’en tirera pas à aussi bon compte car cette pirouette sémantique est à la fois trop facile et faussement habile pour dissimuler une véritable difficulté politique: comment se démarquer de l’extrême-droite quand, sur un certain nombre de sujets, le parti de Mélenchon partage l’analyse des lepénistes, et vice-versa, qu’il dénonce et combat la politique du gouvernement avec un vocabulaire  et une violence (symbolique) similaires. La mobilisation populaire contre la hausse du prix des carburants en fournit d’ailleurs un nouvel exemple.

Récemment, Mélenchon avait déjà subi deux alertes. La première indirecte au sujet de l’immigration: ce n’était jusque-là jamais arrivé mais au sein de la gauche de la gauche française et au cœur de la France Insoumise, un certain nombre de cadres et de militants remettaient en cause la ligne, le théologie pourrait-on écrire, de l’ouverture et de l’accueil.

Au point que des observateurs poussant loin, très loin (trop loin?) osèrent évoquer une hypothétique alliance à l’italienne, un jour, entre la France Insoumise et le Rassemblement National. Mélenchon traita l’événement par le mépris et on peut le comprendre. Mais voilà qui provoquait une première entaille, comme un doute, même si l’on se rassurait en insistant sur l’internationalisme scrupuleux de Mélenchon, son anti-racisme viscéral, sa vie toute entière de lutte contre l’extrême-droite.

Marine Le Pen compromet Mélenchon

Dans ce contexte trouble et troublé, c’est avec d’autant plus de délectation que Marine Le Pen et les siens décidèrent de compromettre Mélenchon, à l’Assemblée nationale cette fois, et ce sera la deuxième alerte: les élus d’extrême-droite l’acclamèrent quand il accabla de reproches le gouvernement, la justice et les médias après les différentes perquisitions dont il fut l’objet ainsi que la France Insoumise en raison des comptes de campagne 2017.

Il eut beau jeu de faire remarquer qu’il n’avait rien demandé ni sollicité, le tableau faisait mauvais genre. Le Pen et les siens qui, dans les travées du palais Bourbon se lèvent et applaudissent Mélenchon pour le soutenir… Les pièges peuvent se refermer en politique, la preuve. Et donc désormais le lider maximo de la France Insoumise se méfie.

Avec célérité, l’extrême-droite multiplia les efforts et les appels pour “récupérer” le mouvement 2.0 jailli sur les réseaux sociaux afin de protester contre les hausses de carburant. En quelques jours, 700.000 signataires de la pétition “pour une baisse des prix à la pompe”. 700.000! Et un blocage des routes prévu le 17 novembre. Avec le soutien de près de 80% des Français. 80%!

Une bombe dégoupillé placée sous la table du conseil des ministres. Marine Le Pen ne manqua pas de faire savoir son enthousiasme et, surtout, sa solidarité: “c’est la liberté de circulation des Français qui est attaqué. Je soutiens le mouvement du 17 novembre sans aucune réserve”. Idem pour le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan en compétition de radicalisation avec la cheffe de l’extrême-droite: “il faut soutenir toutes les initiatives (anti-Macron) d’où qu’elles viennent”. Et Laurent Wauquiez, le président de LR, de faire aussitôt trio: “il faut que cesse le racket des automobilistes”.

Les européennes comme test

Le Pen+Dupont-Aignan+Wauquiez… Jean-Luc Mélenchon pouvait difficilement ne pas “s’inquiéter de cette récupération” d’une initiative qui, a priori, le séduit mais provoque une sérieuse zizanie au sein de la France Insoumise. Trois sensibilités en effet s’affrontent sans détour: certains “Insoumis” refusent de rejoindre le mouvement anti-hausse des carburants en raison de cette présence active des droites extrêmes; d’autres refusent aussi mais pour une toute autre raison: ils rappellent la priorité écologique de la France Insoumise et défendre le diesel leur apparaît aberrant; les derniers ne partagent aucun de ces états d’âme et tout combat contre le pouvoir mérite d’être soutenu- y compris en côtoyant l’extrême-droite.

D’où l’embarras de Jean-Luc Mélenchon, ses atermoiements, contradictions et hésitations: “nous n’appellerons pas à la manifestation du 17 novembre même si cette colère est juste, digne. Si des amis y sont, nous serons fiers d’eux. Après il y a un problème, voilà que sont venus se mettre au milieu des fachos”. Et pour mieux prouver les contradictions parmi les Insoumis, le député François Ruffin une nouvelle fois se démarque de Mélenchon: “j’ai envie d’y être pour voir au moins qui est là, à quoi ça ressemble, qu’est-que ça dit de la France”.

Il n’empêche que Mélenchon est enfermé dans un piège dont il ne parvient toujours pas à s’extraire: comment s’opposer au président de la République sans que des Français (en particulier électeurs de gauche) ne lui reprochent une trop grande proximité, en particulier de ton et de vocabulaire, avec l’extrême-droite? À cet égard, les élections européennes de mai 2019 fourniront l’occasion d’un test grand format: comment contester l’Europe tout en se différenciant des lepénistes et des souverainistes de droite? Un casse-tête pour Mélenchon.

 

Source : challenges.fr

Crédit photo : capture d’écran

 

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